Crise de foi

 

En mon for intérieur, suis-je censée croire en Dieu ? À la suite de tous ces pratiquants qui se sont laissés aller à ajouter foi en l’existence d’une entité transcendante, est-il nécessaire que nous croyions tous à ce que moult rationalistes sensés se sont plu à qualifier de coquecigrues ? Quels vrais honnêtes gens ne se sont jamais laissé empaumer par le miracle du ruissellement des fonts baptismaux ou la solennité des extrêmes-onctions d’un ordinand à l’allure falote et boscotte ?

Puis-je faire fi de quelque deux mille ans de judéo-christianisme ? N’éprouvé-je pas, lors de l’apogée spirituel de la transsubstantiation, quelque sentiment de l’au-delà ? Pourtant, parmi toutes ces cagotes vieillottes que j’ai maintes fois entendues chanter appassionato des kyrie entachés d’imbécillité bigote, faut-il qu’assidûment nous oyions ces amen dissonants et ces répons résonnant jusqu’au narthex ? Quel aria que ces arias maltraitées !

 

Au temps pour l’anachorétisme et le cénobitisme ! Faut-il donc toujours qu’il messiée à l’homme d’être peccable ? Qu’on conclue que je suis un succube, peu me chaut : je révère les religieuses butyreuses plus que les diaconesses et chanoinesses (fussent-elles lapses et relapses) et la bonne chère plus que la chaire et le chœur ! L’hostie et l’eucharistie ? J’aime encore mieux les afats[1] et leur vin de mess !

Péché-je donc en confessant ma dilection pour les demi-sels[2] et non pour les missels ? Ne vaut-il pas mieux le bon maître d’hôtel d’un trois-étoiles recommandé que tous les maîtres-autels d’une abbaye en commende ? Quelle irrémissible faute antireligieuse y a-t-il à préférer les amis de la daube à l’amict[3] et à l’aube ? les pets-de-nonne aux nones de quinze heures ? les lacrima-christi[4] aux exégèses christiques ? les saint-marcellins[5] aux saint-simoniens et les saint-pierres[6] à tous les saints-pères ? les exotiques crèmes de curry au(x) catholique(s) chrême(s) de curie(s) ?

 

D’aucuns argueront[7] d’une improbable conversion… Mais à quoi ? Me contenterai-je du gnôthi seauton socratique ? Idolâtrerai-je des mânes oubliés, ou mes dieux auront-ils des têtes de lares ? Me confierai-je à une secte jaïn[8] ou aux prosélytes zaydites ? Franchirai-je un jour des torii shintoïstes ou des iconostases richement décorées ? Combattrai-je aux côtés des Hiérosolymites sionistes avec leurs tephillin[9] et leurs schofars[10], ou chercherai-je l’ataraxie auprès des bodhisattvas en extase devant des panchen-lamas vénérés ?

Quel schibboleth m’attend ? Quel schéol[11], quelle géhenne me guette finalement ? Quelles délices me sont réservées dans les abîmes hadaux de l’Enfer où, sans aucunes funérailles dignes, je souffrirai le martyre ? À moins que je ne me voie rédimée et que l’on m’octroie un aman bien mérité ? C’est par ici le paradis, et voilà le Walhalla ?

Quoi qu’il en soit, il vaut mieux finalement que je m’en tienne à ma propre devise : ni Dieu, ni maître… queux !

Julien SOULIÉ, le 23/11/2003



[1] Ou a.f.a.t.

[2] Ou demi-sel.

[3] Veiller à bien prononcer [ami].

[4] Ou lacryma-christi.

[5] Ou saint-marcellin.

[6] Ou saint-pierre.

[7] Ou arguëront.

[8] Ou djaïn.

[9] Ou téphillin, tefilin.

[10] Ou chofars.

[11] Ou shéol.