Lettre ouverte à ma Mémé

Il y a quelque temps déjà que je voulais te le dire : Mémé, tu te laisses aller et tu vieillis. Pendant les treize années que tu as vécu chez nous, nous nous sommes complu à te croire toujours aussi jeune, pleine d'allant. Pourtant, quelques signes avant-coureurs auraient pu nous alerter : tu ne te promènes plus deçà delà dans le jardin, pour guetter les sittelles bleutées ou les hyponomeutes aussi agités que des zeuzères ; tu ne taquines plus les tachinas noirs ou les faux bourdons qui virevoltent par-ci par-là. Il y a peu encore, tu faisais avec moi les allers et retours entre la maison et la boîte aux lettres du bout de la rue, en compagnie de notre retriever ; maintenant, tu t'arrêtes à mi-parcours et tu nous attends, comme si la fatigue, la lassitude t'avait accablée.

Hormis cette sortie, tu ne bouges guère de ton fauteuil préféré, le rose aux reflets incarnats, près du radiateur. Mais aux premiers rayons du soleil c'est le canapé de la véranda qui t'accueille pour de longues siestes et tu t'y endors si béatement qu'on te croirait au nirvana. Des heures de farniente total, combien en as-tu accumulées ? Si je croyais à la métempsycose, je penserais que tu es Hypnos.

Une chose pourtant te sort de ta quasi-léthargie : les repas. Quelles que soient les circonstances, tu es toujours prête à manger et je me demande si, autre signe de sénescence, tu ne perds pas la mémoire car, sitôt un repas avalé, tu pars faire un petit somme, pour revenir trois quarts d'heure plus tard demander une autre assiettée. Heureusement que quand nous savourons un château-lafite (délicieux, entre autres, avec des têtes-de-Maure) tu ne bois que de l'eau ! Ce n'est pas encore de la schizophrénie et on ne te soumettra pas à un schibboleth, mais tout de même...

Malgré tout, nous t'aimons bien, tu es encore très jolie avec ta fourrure tigrée, tes superbes yeux vert émeraude et cette façon lascive de déposer tes phéromones contre nos jambes ; et quand tu ronronnes, confiante, sur nos genoux, nous espérons que tu es encore pour longtemps chez nous, Mémé. Au fait, faut-il le préciser, Mémé c'est notre chatte et son vrai nom est Célimène !


Huguette LE TRIONNAIRE
Club d'orthographe de Lanester