Larguez les bouts !

Du châlit au chalut et inversement, dans le coaltar, flapis, les hommes d'équipage n'avaient guère eu le temps de manger l'habituelle galimafrée du bord. Guy guignait avec concupiscence le far affriandant et prometteur de délices infinies. Une scène surgit alors à son esprit, enfouie au tréfonds de lui-même : les fruits candis que sa grand-mère, toute maigriotte dans son sarrau noir, avait accommodés au son des flonflons du bal du village, et qu'il avait chipés sans qu'elle conclût (conclue) à sa culpabilité. Ce même jour, son frère et lui avaient versé quelques gouttes du sent-bon de leur sœur dans les dames-jeannes où leur grand-père entreposait son meilleur cru. Cela fit un sacré raffut ! Il sourit, les oreilles bourdonnant encore de la voix suraiguë de son aïeul tançant ses sacripants de petits-fils et trompetant à l'envi leur(s) méfait(s) sur la place publique.
Guy revint à son quart. Il scruta le cotre qui filait à quelque trois milles devant eux, au près serré bâbord amures, à quelques encablures des à-pics accores de la côte. L'amer était enfin en vue. Le rafiot (rafiau), qui rappelait les chasse-marée d'antan, allait profiter de la bonace pour rentrer. Ce soir, le vent était étale, la bôme immobile. Seul le foc faseyait, attendant d'être affalé. Plût à Dieu que leur retour se fasse sans encombre. Les ex-voto, en bonnes offrandes propitiatoires, ou les patenôtres ânonnées suffiraient-ils à éloigner l'esprit fantasque des korrigans ? Pour l'heure, les goélands vibrionnaient tout autour d'eux, appâtés par les tacauds et les chinchards qu'ils avaient rejetés à la mer, ne gardant que lieus, turbots et zées.
Une forte marée de syzygie s'annonçait. Demain, les pêcheurs iraient s'asseoir au « Rendez-vous des bons copains », le café du port, où ils dégusteraient clovisses charnues et bigorneaux, dont ils recracheraient les noirs opercules, se racontant sans fin leurs histoires de pêche nées de souvenirs que leur avait offerts, et qui n'étaient pas près de s'estomper, chacune de leurs campagnes.

 

© Annie Le Saux 2005

Dictée Georges Brassens, 15 octobre 2005