La ville inhumaine

Quels que soient la ville soi-disant paisible, le quartier réputé calme où vous résidez, des bruits de toute(s) sorte(s) fusent de toute(s) part(s), vous poursuivent à toute heure, en tout lieu.

À côté d'une caserne, les ra et les fla des tambours éclatent soudain, vous mettant les nerfs à fleur de peau. Votre cœur galope plus vite que celui d'un yearling lors d'un canter : seriez-vous atteint(s) de tachycardie ? Les pin-pon sinistres des ambulances et des voitures de pompiers vous malmènent les cochlées et vous remplissent de mal-être.

Au petit matin, alors que vous êtes enfin plongé(s) dans un sommeil réparateur, les véhicules de voirie troublent votre quiétude par leurs arrêts et démarrages fréquents, par le trimbal(l)ement des poubelles. Et commence alors le raffut des scrapers, des bulldozers, des roues-pelles qui s'acharnent à briser, à dégager des blocs de flysch, de calcschiste, de gabbro, de trachyte ou de poudingue.

À ce tintamarre, ajoutez les vrombissements de la voie express voisine, les pétarades des mobylettes (malgré les défenses expresses de scier les pots d'échappement) qui narguent les lois antibruit.

Dans ce quartier, résidentiel à l'origine, nombreux étaient les retraités. Ils s'étaient figurés à l'abri de tous les tohu-bohu. Le point culminant de leur mal-vivre avait été atteint la nuit où la banque voisine avait été victime d'un hold-up avec intervention de l'antigang très zélée. Il eût été moins angoissant de naviguer sur des fonds abyssaux, hadaux même, que de vivre dans ce perpétuel hourvari.

Plus d'un s'étaient disputés pour une porte claquée violemment, pour le martèlement du bricoleur des week-ends. Des plaintes au commissariat du quartier, ils en avaient déposé combien ? Le peu de sollicitude qu'ils avaient rencontré les avait découragés. Combien en avaient-ils relevées d'adresses de comités de défense ? Combien de lettres leur avaient-ils expédiées ? Aucun résultat notable n'avait été acquis. Aussi, certains d'entre eux avaient décidé de s'installer à la campagne.

 

Madeleine ROBIN
1999