La constance de l'escargot

Il était une fois un petit-gris qui vivait, ataraxique, dans un jardin extravagant, foufou, foutraque. Des capucines rouge vif partaient à l'assaut de haies d'ifs en zigzag. Des bosquets de troènes, ne voyant jamais le taille-haie, se mêlaient à des épines-vinettes, côtoyant des lauriers-tins, des lauriers-sauce, des arbres à fruits à noyau, à fruits à pépins - voire sans fruits du tout. Selon les saisons, s'égaillaient deçà delà parmi les légumes d'un vague potager, des fuchsias, des dahlias, des anthémis, des zinnias et des fleurs non identifiables pour l'œil du béotien, quoiqu'elles eussent été vraisemblablement classifiées, en son temps, par Linné. Ici, pas de marcottage, pas de buttage !
Hélas, une jeune vénus, nommée Mélancolie, se mit à hanter ces lieux par intermittence, et notre cagouille, qui avait quitté depuis son alter ego, s'étant tapie sous un massif de santoline, épia alors, fascinée, mais sans espoir, la belle aux cheveux blond doré et aux yeux pers. On peut comprendre son inclination...
Notre gastéropode, coi, chamboulé, en perdit l'appétit. Pourtant, au potager, il adorait la feuille de chêne. (Mais l'ancolie voisine, cependant, avait sa préférence...)
Mû par le besoin de se changer les idées, il entreprit l'escalade du puits sis au fin fond du jardin. Ô rage, ô désespoir ! ll y chut... Cet abysse obscur, d'une profondeur de seize mètres, était asséché. Sonné, couvert d'ecchymoses, coquille ébréchée, mais combatif, l'hélix décida de sortir de cette geôle inattendue.
Alors, combien de jours, calculés en heures, minutes, secondes, s'étaient succédé avant qu'il revît le soleil coruscant, sachant qu'il grimpait de quatre mètres le jour et que nuitamment, il glissait de trois mètres, épuisé, et - oserai-je le dire ? - l'estomac dans les talons, cela perturbant considérablement son cycle nycthéméral ?
Je vous laisse vous dépatouiller avec ce problème aux arcanes subtils (en tout cas pour moi).

 

Christiane Ciscarès
décembre 2007