Antoine et sa petite-fille

Dès potron-jacquet, Antoine se lève. Après avoir bourré son premier brûle-gueule de la journée, il sort pour une promenade, son barzoï sur les talons. Finie la chaleur, septembre est déjà là mais la brume matinale laisse prévoir une belle journée de fin d'été. Satisfait, il rentre boire une bistouille à la boukha et briffer quelques bricelets avec de la confiture de bigarreaux.

Puis il chausse ses bésicles teintées pour terminer la lecture d'un journal bihebdomadaire reçu la veille, en attendant l'arrivée de sa petite-fille Amélie. Comme tous les mercredis, elle vient lui tenir compagnie. Elle l'appelle affectueusement bon-papa et, à sept ans et demi, elle ne manque pas de bagout. Elle s'installe près du bonheur-du-jour hérité d'une bisaïeule, pour bichonner sa poupée et regarder quelques B.D.

Passé dix heures, Amélie a un petit creux dans l'estomac et demande à boulotter. Bien que préférant les baklavas, elle se régale de biscômes préparés par son grand-père.

Mais le chien est impatient d'aller batifoler dehors. À peine sorti, ayant flairé la présence du boxer du voisin, il s'élance à toute berzingue vers la clôture. Amélie l'appelle et, sans barguigner, il revient en furetant le long de la haie brise-vent plantée de buissons-ardents et de cotonéasters, arbustes baccifères très appréciés des oiseaux en hiver. Amélie court après les belles-dames qui volettent sur les buddleias mauves et bleu barbeau, sans résultat d'ailleurs.

Les arbustes fruitiers séparent le potager de la pelouse. Quelques bons-chrétiens blets attirent les guêpes et les faux bourdons. Les boskoops vont bientôt être récoltées. En bordure, entre les bourdaines espacées, poussent à foison des bouillons-blancs, des brizes, des bourses-à-pasteur, et que sais-je encore ? Au loin, haut dans le ciel, un balbuzard guette sa proie au-dessus d'un étang.

À baguenauder ainsi, l'heure du déjeuner est déjà arrivée et les deux amis se sont fait chahuter par Antoine. Mais qu'importe ! Amélie se lèche les badigoinces car le repas lui paraît succulent : ballottine de volaille, bifteck haché avec une purée de bintjes, batavia accompagnée de broccio et, pour terminer, un blanc-manger, son entremets préféré. Quant au chien, impatient, il peut bâfrer sa pâtée.

 

Denise LIDURIN
Septembre 1996