Étrange fléau

Quoique apparu dans les années quatre-vingt-dix déjà, le fléau était passé inaperçu. Mais soudainement, l'été passé, telle une traînée de poudre, il s'était répandu à grande échelle et menaçait la planète tout entière. Les mass media n'étaient pas étrangers à l'effervescence qu'il avait suscitée et même Julie l'avait évoqué dans une de ses « Encre bleue ». Bref, d'Ushuaia à Junau, du Cap à Reykjavík, de Canberra à la Sibérie orientale, on parlait de ça. Ça ? Peut-être songez-vous à la grippe aviaire dont on nous a tant rebattu les oreilles, mais vous faites erreur. Il ne s'agit pas davantage de l'illicite cannabis, ni de l'ecstasy, ou de quelque autre drogue qui engendre l'addiction. La pandémie qui provoquait chez moult sujets des nuits blanches, une certaine fièvre voire des céphalées, mais pas d'épistaxis malvenue, n'était heureusement pas létale. C'était néanmoins une fièvre jaune répondant à l'énigmatique nom de sudoku.


Ah ! le sudoku, ce jeu nippon des plus envoûtants que d'aucuns traduisent par « samouraï du chiffre unique » ! Il peut se vanter de diviser bien des familles, avec ses aficionados qui, quasi quotidiennement, le pourchassent dans la «Tribune de Genève» et ses détracteurs se recrutant souvent parmi leur partenaires, épouses ou conjoints marris qui le vouent aux gémonies. Pour ma part, quand je m'y adonne, mon chat Attila n'apprécie pas que je lui préfère un coin de journal. N'a-t-il pas imaginé, le coquin, avec un sadisme que je qualifierais de hunnique, un moyen de rétorsion particulièrement efficace ? Il shoote adroitement ma gomme sous l'encoignure ou l'ottomane, quand il ne la déchiquette pas en fragments inutilisables. Et comment, je vous le demande, remplir correctement les quatre-vingt-une cases de ce jeu démoniaque sans l'aide indispensable d'une gomme ?