Histoire d'eau

C'était au mitan d'une de ces après-midi pluvieuses comme on en a connu beaucoup en ce début de printemps pourri, que je l'avais rencontrée dans une rue piétonnière très fréquentée. Peu de monde, hormis moi, semblait avoir remarqué sa présence. Elle m'avait émue et me faisait pitié, cette jeune fille que je dominais d'une bonne tête. Son manteau trois-quarts au capuchon doublé la protégeait tout juste de l'eau tombée du ciel. Son pantalon, de mauvaise coupe, tire-bouchonnait (tirebouchonnait) sur ses baskets sommairement lacées. Vraiment, elle n'était pas des plus attirantes avec ses vêtements gris-bleu si tristes. Son cabas en papier, dont le pli était encore marqué, ne contenait pas grand-chose. Pourtant, il paraissait lourd pour ses frêles épaules voûtées qui semblaient porter toute la douleur du monde. Quel immense chagrin, un deuil, une séparation ou le spectre du chômage la bouleversait-il à ce point ? De grosses larmes qui semblaient intarissables s'échappaient de ses yeux bouffis. Elle pleurait, elle pleurait comme une madeleine, ou plutôt comme une fontaine ... qu'elle était réellement, la Petite pleureuse de Fribourg !

Des fontaines, que j'en ai vu en voyageant par monts et par vaux ! Parmi elles, la plus rentable est celle de Trevi, à Rome, où kopecks, yens, dinars et autres pièces étrangères se mêlent à la monnaie européenne dans le bassin qui rapporte bon an, mal an environ soixante-cinq mille euros. Quant à la fontaine la plus triviale, c'est Le Manneken-Pis de Bruxelles, ce garçonnet nu ô combien célèbre, à qui d'aucuns dont Louis XV offrirent des vêtements. Quant à la fontaine qui a le plus de panache, c'est notre Jet d'eau, que, en bonne Genevoise, je suis fière de mentionner ici. Mais, de toutes les fontaines que je connais, ma préférée c'est incontestablement la Petite pleureuse !