- n°1 : Voici revenues les brumes automnales, où baignent nonchalamment les feuilles prêtes à tomber dont les tons virent doucement à l’ocre doré. Les premiers frimas glacent les matins ; les jours raccourcissent sensiblement ; mais quand le soleil décoche ses rayons, une chaleur bienfaisante imbibe la nature encline à s’assoupir et l’auréole de multiples nuances : c’est ce qu’on appelle « l’été indien ».
- n°2 : Il représentait, ce paravent, un flottant paysage aux couleurs ternies encombré de jets d’eau, de châteaux en terrasses(s), de grands cerfs courant par les futaies, de paons dorés qui traînaient leur queue chamarrée et de hérons pensifs debout sur un pied au milieu d’une touffe de glaïeuls. Et le joueur de flûte assis sous le portique d’un vieux temple, et la belle dame qui l’écoutait ! Ils me faisaient rêver… Je m’imaginais quelquefois être le petit page qui venait derrière… (d’après P. Arène, Jean-des-Figues)
- n°3 : Depuis une bonne quinzaine de jours, nous avons franchi le cap de l’an deux mille. En dépit des prédictions les plus élaborées, aucune catastrophe retentissante ne s’est produite, hormis la tempête qui, en France, avait ravagé précédemment des forêts séculaires. Dans l’Antiquité, les Gaulois craignaient que le ciel leur tombât un jour sur la tête ; pendant des décennies, nos aïeuls ont évoqué cette époque avec des affres non dissimulées ; la peur du bogue a pris aux tripes certains informaticiens. Aujourd’hui, force nous est de constater que, bêtement, rien n’a changé !
- n°4 : Avant-hier soir, mon mari et moi sommes allés au restaurant. Face à une carte détaillée et pour le moins alléchante, nous nous sommes trouvés confrontés à un réel dilemme quant au choix du menu. Nous gardions évidemment en mémoire les récentes affaires de veau(x) aux hormones, de poulet(s) à la dioxine, de poisson(s) cyanuré(s), de listériose suscitée par la consommation de certains fromages. Après nous être concertés, nous avons finalement opté pour une pizza !
- n°5 : Il s’en fallut de peu que Joseph s’éclipsât incognito sitôt après l’épreuve écrite : une migraine tenace lui martelait le crâne, au point qu’il se trouvait au bord de la nausée ; ses yeux, écarquillés pourtant, ne distinguaient plus, en fixant les meubles, que des contours évanescents… Conscient du problème, son copain Patrick lui fit absorber un comprimé effervescent d’aspirine pour l’aider à attendre la proclamation solennelle des résultats.
- Quarts de finale : Par-delà l’avenue que sillonnaient déjà, tous phares allumés, les autos et les trams, les frondaisons du parc sortaient à peine de l’ombre. En bas, derrière les grilles, des écharpes de brume flottaient, vaporeuses, au ras des pelouses et l’humidité de la nuit faisait luire vaguement les lauriers-cerises, les buissons lustrés du houx. Au-dessus des arcades, les chevaux du quadrige s’ébrouaient dans un ciel d’une pureté minérale. (France Bastia, La Traille)
- Demi-finale : Et je pensais : - On va s’attrouper, appeler un agent, me conduire à l’hôpital… Demain, il sera question de moi dans les journaux… Et je ne voulais pas qu’il en fût ainsi. En dépit de mon hébétude, je pensais à ma situation, au tort que me ferait une aventure aussi ridicule si elle était révélée… Je ne savais pas si j’étais blessé. Mais j’étais comme pris de vertige. Ma tête tournait. Et lorsqu’un bras fut passé sous mes épaules pour me soulever, j’eus comme un haut-le-cœur et perdis connaissance. (Christian Brulls (Simenon), L’Inconnue)
- Finale. - Finale : Oui, Toine était poète ! Les poètes sont des artistes gourmands. Les gens d'âme vilaine mastiquent, déglutissent, digèrent comme des fonctionnaires de la gueule. Dans les jardins, ils ne tiennent que des propos de maraîchers. Le poète, lui, flâne dans les potagers. Il reste seul en arrière, pour se baigner dans l'âcre senteur du carré de poireaux géants, se penche sur le buisson de thym et rêve devant les beaux oignons (ognons) aux fanes fatiguées, les beaux oignons pansus comme lui. (Arthur Masson, Toine Culot, obèse ardennais)