Symphonie mycologique inachevée

Que vous soyez peignier, maître écailler, staffeur, crooner, solicitor, attorney ou chérif saoudien, avant d'aller à la cueillette des champignons, diverses précautions s'imposent à vous. Habillez-vous de confortables et solides vêtements de campagne - les dames éviteront les dos-nus, qu'ils soient en térylène (Terylène) renforcé ou pas, ou en toute autre matière -, choisissez de robustes chaussures, certes pas des tiags effilées ou des tongs éculées. Glissez dans votre poche à fermeture contact un petit guide des champignons les plus courants y compris iceux à proscrire pour vous épargner l'empoisonnement létal ou les troubles gastro-intestinaux.

Emportez deux fleins foncés aux mailles serrées et munis d'une anse, et garnissez-en le fond d'un lit de cétérach (cétérac), communément appelé herbe à dorer, ou de sphaigne non desséchée afin de ne pas abîmer les différentes espèces cueillies. N'oubliez pas le couteau spécial bien affûté, pourvu d'une brosse pour débarrasser en cinq sec les champignons d'éventuels débris ou souillures, et ajoutez-y une règle graduée pour mesurer le diamètre du chapeau et la hauteur du pédicule d'un champignon inconnu, en vue de son identification. Une loupe de quelque dix dioptries ou même d'une vergence supérieure peut - ça va de soi - vous être très utile, ne fût-ce que pour déceler la présence de larves à l'intérieur du pied des champignons. Un alpenstock pourra vous aider à écarteler les broussailles importunes. Quelques sacs plastique, des mouchoirs en papier absorbant et des gants en plastoc vous viendront à point pour séparer les espèces à odeur trop prononcée. Enfin, un morceau de tissu vous servira à sécher certains champignons.

Sous la houlette jouasse (joice) d'un toubib toubab, mycologue chevronné, et de deux pharmaciennes éprouvées, des calures incontestées entachées des produits bio (bios), nous partons d'ores et déjà piane-piane à la recherche de nos champignons chéris. Nous découvrons tout d'abord des tricholomes de la Saint-Georges ou mousserons, agaricales lamellées à l'odeur suave de farine fraîche et à la saveur très agréable. Souvent, ils forment des ronds de sorcière. Les girolles ou chanterelles, qui appartiennent à l'ordre des cantharellales, se dénichent dans les sous-bois moussus humides et sous les feuilles mortes des hêtraies. Les clitocybes anisés se plaisent en assoce avec les châtaigniers.

Sous les hêtres et les charmes, on ramassera des trompettes-de-la-mort gris noirâtre agréablement parfumées. Plus tard dans la soirée, on les dégustera avec un succulent gîte-gîte exquisément rôti au beurre, ou bien avec une lotte (lote) en matelote ou encore avec des zées dorés ou argentés, le tout arrosé d'un rhyton de dôle chambrée à point et clôturé par un godet de rye plus ou moins frappé.

On récoltera aussi quelques fistulines rouge sang, encore nommées foies-de-bœuf ou langues-de-bœuf, et quelques hydnes jaunâtres mieux connus sous l'appellation de pieds-de-mouton.

Déjà nos fleins sont presque pleins. La journée aura été bonne, d'autant plus que dans une laie bien dégagée nous avons croisé - image émouvante - une laie et ses marcassins, qu'à l'orée du bois des cynorhodons (cynorrhodons) nous avaient fait rêver à d'exquises confitures et qu'au détour d'une tortillère nous avons rencontré une gente garde forestière plutôt logorrhéique que certains se sont plu à interroger sur les charmes de son métier.

 

Test

On ne délaissera cependant ni les colorés hygrophores au chapeau visqueux, ni les polypores soufrés qui poussent sur les chênes, les châtaigniers, les ifs et les cerisiers. On essaiera de dégoter (dégotter) tant les jeunes vesses-de-loup, qui pourront accompagner une omelette et des œufs miroir, que les raffinés pleurotes en huître. Les morilles qui sont toxiques à l'état cru mais qui, consommées étuvées avec des asperges rôties et une pintade au beurre, constitueront un mets des plus délicats (délicat). Quelle teuf !

Ici se termine notre balade forestière sans les truffes noires du Périgord ni les truffes blanches du Piémont, les plus recherchées au monde car elles ne naissent que dans des zones limitées de l'Italie du Nord et dans le Midi de France. D'ailleurs, pour les détecter, nous aurions besoin de chiens et porcs truffiers spécialement dressés à cette fin-là.

Quoi qu'il en soit, vive (vivent) les champignons ! Ô corbleu, combien je les apprécie !

 

A. JACOB
7 mai 2005