Classe des grandes

 

Concours d’orthographe de Fontaine-au-Pire

 

(Dimanche 1er octobre 2000)

 

Classe des grandes  

 

        Vous, les amateurs d’orthographe auxquels j’ai donné rendez-vous sans faute un premier octobre, savez-vous que ce fut, pendant des décennies, à vingt-quatre heures près, la date solennelle de la rentrée des classes ? Cette coïncidence a ranimé, au tréfonds de ma mémoire, un essaim d’images bariolées ou monochromes que je vous décrirai et vous dédierai sur-le-champ si cela vous agrée.

     Ce matin de sarraus empesés, de galoches cirées et d’ongles quasi nets, la maîtresse, un brin peau de vache, nous rappelait de prime abord que nous étions toutes censées avoir révisé nos neuf mémentos pastel, ressorti nos chers guide-ânes, et fait le deuil de nos jeux et ris garçonniers.

(fin pour les candidats de la catégorie 1)

 

     Ma foi, oui, nous pouvions dire au revoir à nos cache-cache derrière les meulons ainsi qu’à nos poursuites échevelées parmi les guérets ou les orges non chaumées, par-dessus les andains, voire au travers des grenouillères et des troupeaux affolés ! C’en était bien fini aussi des délices interdites telles que l’ascension du colombier à boulins en ruine, le piégeage d’un tigre du Bengale dans des blés à barbes colonisés par la nielle (plus dangereuse ici que l’improbable félidé), ou encore cette danse des squaws exécutée sur des avoines que la verse cryptogamique avait mises à l’horizontale après l’épiage, et dont nous écrabouillions sans remords les panicules vert-de-grisées !

     Sitôt qu’elle avait distribué les cahiers aux en-têtes calligraphiés de sa plume tatillonne, « Madame » nous livrait dévotement la première de ses dictées quotidiennes. Elle exhortait les excitées au soin et à la soumission : « Avec pleins et déliés, sans ratures et sans pâtés… Et l’on ne se récrie pas, mesdemoiselles ! ».

(fin pour les candidats de la catégorie 2)

     L’hypotypose du jour (un texte de son cru, d’une longueur feuilletonesque) célébrait fort congrûment l’automne, rimant comme il se doit avec « monotone », quoique en général dépeint sous des avatars divers, de ses gais apprêts à son quérulent exit. D’entrée de jeu, cet être protéiforme se travestissait en Pomone affétée. Il revêtait simarre et coiffe de brocart, s’attifait d’opulentes pampilles rocaille aux tons chauds d’or mussif, d’orpiment et d’orseille, puis se pavanait en noble arroi, entortillé de pied en cap d’un boa de moelleuse hypne.

     Pourtant, passé les dionysies, avant qu’elle-même s’en fût rendu compte, la déesse au statut mal fixé n’était plus que napée, certes encore embéguinée de samit, mais à demi nue dans son justaucorps de pruine que l’épeire et l’aiguail, tels des experts ès orfrois toc, avaient filigrané(e) de pacfung et emperlé(e) de vif-argent.

(fin pour les candidats de la catégorie 3)

     À l’approche de nivôse, ulcéré que sa marâtre Nature ne l’eût point convié aux fêtes du vieil Hiver, notre flambeur décavé se transformait in fine en scrogneugneu teigneux, buveur de chaudeaux immodérément rhumés et imbibé jusqu’aux os d’autres rogommes frelatés. Par voie de conséquence il était devenu inapte à toutes représailles personnelles.

     Pour venger l’avanie à son pair infligée, Borée, l’éternel affidé, quittait sa Thrace incontinent et s’engouffrait, bise en tête, dans les boqueteaux, les drèves et les cavées. Il parachevait l’effeuillaison des pérots bicentenaires et, deçà delà, à grand ahan, fracassait les jeunes lais et les gaulis des basses futaies.

     Quoi que l’on pût s’imaginer, les raids à répétition n’avaient pas détraqué nos cervelles de naïves oiselles. Mais ne voilà pas que, presque un lustre après qu’eut cessé le feu et que l’envahisseur eut été bouté de céans, cet anthropomorphisme de bazar libérait, sens dessus dessous, les traumas qu’en temps de guerre avait continûment engourdis le prodigieux dictame de Léthé tutélaire.

(fin pour les candidats de la catégorie 4)

     Brrr ! ...Rembuchées dans le giron tribal de notre classe, à des lieux de toute aire ventée, nous craignions les déferlements hunniques des zélateurs d’Éole. Nous nous figurions tantôt frôlées par d’infâmes folioles stigmatisées d’escharres (eschares) cruentées, tantôt fouaillées et trempées par l’abat ou, cent fois pire, canardées de beurrés talés, d’apis cotis et de bogues pareilles à des plommées miniatures. Et, quelque absurde qu’elle fût, l’envie nous prenait de châtaigner, à l’instar de l’aquilon abhorré, et de rendre marron pour marron à tous les dieux du ciel.

 

Michèle Balembois-Beauchemin
Championne de Belgique 1993
Dico d'or 1993